dimanche 11 novembre 2012

Justice économique



On parle souvent de l’injustice du capitalisme. Je crois que le capitalisme est effectivement injuste parce qu’il n’offre pas des opportunités comparables aux familles démunies et aux familles aisées. Outre les cas exceptionnels, on constate que les enfants riches fréquentent les universités les plus prestigieuses et bénéficient de réseaux de contacts privilégiés alors que les enfants pauvres souffrent d’handicaps autant sociaux que financiers quant à leur avancement professionnel. Ainsi, notre condition sociale est largement déterminée par le statut de notre naissance. L’écart n’est pas aussi flagrant que le contraste médiéval entre l’aristocratie et la paysannerie, mais le principe est le même. Le capitalisme permet aux individus d’utiliser leurs efforts et leurs talents afin d’améliorer leur sort, mais il n’est pas une méritocratie pour autant.

Le socialisme vise à rectifier l’injustice du capitalisme. L’État socialiste exige que les travailleurs et les entreprises lui versent une part importante de leurs revenus afin d’offrir des services égaux à l’ensemble de la population. Ce faisant, le socialisme cause une série de pertes systémiques. Quand on dépense l’argent des autres plutôt que le nôtre, on le fait avec moins d’attention et d’intégrité. C’est la situation des politiciens et des fonctionnaires qui gaspillent les fonds publics en dépensant de façon éhontée pour des fins douteuses. Par ailleurs, quand les services sont gratuits, les citoyens en usent sans retenue. Si aucun sacrifice personnel n’est requis pour user d’un service, aucune évaluation sérieuse ne précède le choix d’user de ce service. Ces pertes ne sont pas des injustices à proprement parler mais elles révèlent le coût du socialisme. Les socialistes acceptent ce coût afin de promouvoir leur justice égalitaire.

Le problème est que le socialisme n’est pas réellement juste car il crée une nouvelle injustice. Souvent, les individus les plus démunis ne sont pas les plus avantagés par les largesses de l’État; il s’agit là d’une injustice théoriquement corrigeable dont je ne souhaite pas discuter. L’injustice dont je souhaite discuter est fondamentale au socialisme; le socialisme ne peut pas exister sans cette injustice. C’est l’injustice des choix sociaux. Les choix sociaux sont des décisions économiques que l’on impose à toute la société au nom de la majorité. Contrairement aux lois pénales qui interdisent aux individus de porter atteinte aux droits des autres individus, les lois sociales obligent les individus à procurer des services à d’autres individus. Les lois pénales interdisent, les lois sociales obligent. Derrière l’obligation des lois sociales, il y a un transfert de pouvoir. Les individus ne peuvent plus attribuer leurs efforts aux fins qu’ils jugent bonnes et justes : Ils doivent les attribuer aux fins que la collectivité juge bonnes et justes.

Ceux dont l’intuition est plutôt collectiviste ne perçoivent pas spontanément en quoi un tel transfert de pouvoir est injuste. La collectivité plutôt que les individus choisit les fins qui seront réalisées par les ressources de l’ensemble de la société : N’est-ce pas là l’essence de l’équité? Pas du tout. Par ce transfert de pouvoir, certaines des aspirations les plus profondes sont rendues inaccessibles, certains des besoins les plus intimes sont frustrés. Ces affirmations peuvent sembler excessives, mais elles reflètent fidèlement le vécu de masses d’individus anonymes.

L’un des exemples les plus patents est celui de la garde des enfants. De nombreux parents souhaiteraient rester à la maison pour passer du temps avec leurs enfants. Pour ce faire, il est généralement nécessaire que l’un des parents s’abstienne de travailler ou que les deux parents travaillent à temps partiel. Dans les deux cas, les revenus familiaux sont moins élevés. Des revenus moins élevés accentuent la pression financière ; il s’agit donc d’un choix particulièrement difficile pour les familles les plus pauvres. Ce choix déjà difficile est pénalisé encore davantage alors que l’ensemble des familles doivent contribuer financièrement, par l’entremise des impôts, aux services de garde de l’ensemble des familles. Si toutes les familles avaient accès à des places en garderie (ce qui n’est pas le cas), il s’agirait d’un système équitable… pour celles qui font garder leurs enfants en garderie! Pour celles qui gardent leurs enfants à la maison, des garderies publiques constituent une dissuasion économique à choisir la vie de famille qu’ils souhaiteraient au plus profond de leur cœur.

Les garderies publiques sont un exemple d’injustice socialiste, mais tous les services publics constituent une telle injustice. À chaque fois que l’État exige les ressources de l’ensemble de la population pour procurer un service à l’ensemble de la population, les individus qui ne désirent pas ce service sont pénalisés : Ils sont forcés de travailler pour qu’un service qu’ils ne désirent pas soit disponible à tous. Un service public peut être simplement non-désiré, tel que l’exemple susmentionné des garderies. Un service public peut aussi être désiré selon des modalités différentes de celles offertes par l’État. On pourrait penser à des programmes éducatifs différents de celui imposé par le Ministère de l’Éducation, ou encore à des soins de santé fondés sur une philosophie médicale autre que celle de la médecine pharmaceutique. Dans tous les cas, en imposant une seule offre à l’ensemble de la société, on limite sévèrement la liberté des individus. Pour chaque choix social qui s’impose, tous les choix personnels qui auraient eut lieu autrement sont pénalisés.

Je précise que ma critique de l’offre publique ne concerne pas les programmes d’aide aux démunis. Elle concerne seulement les programmes universaux. Aider les démunis n’est pas du socialisme, c’est de la décence. Garantir un revenu minimum aux individus sans travail et offrir des bourses aux étudiants pauvres ne sont pas des mesures socialistes : Ce sont des mesures qui assurent la survie et la dignité des moins fortunés. Je crois que, si l’État concentrait ses ressources à aider les démunis plutôt que de les disperser à s’occuper de tout le monde, l’aide serait plus grande et plus efficace.

L’injustice socialiste est peu perçue pour deux raisons. La première raison est une confusion au sujet de l’offre publique. On a l’impression que, si certaines offres publiques ne nous sont pas adaptées, certaines autres le sont et que, au final, le tout est plutôt équitable. Cette impression peut être véridique dans le cas des individus dont les valeurs personnelles correspondent largement aux valeurs dominantes de la société, mais elle comporte le danger d’oublier ou de négliger le fait que d’autres individus ont peu ou pas d’offres publiques qui leur sont adaptées et qu’ils sont donc systématiquement spoliés par l’État socialiste. La deuxième raison est l’habitude d’une liberté limitée. Puisque les services publics nous sont offerts gratuitement ou à prix réduit, nous sommes incités à adopter une attitude de gratitude plutôt qu’une attitude d’exigence. Conséquemment, même si les services que l’État nous offre sont souvent différents de ceux que nous aurions choisis, nous les acceptons sans outrage. On ne mord pas la main qui nous nourrit.

L’injustice socialiste est donc moins perçue que l’injustice capitaliste mais, si nous adoptons une perspective individualiste (au sens noble de respect pour chaque individu), ces deux formes d’injustice sont également graves. L’absence d’opportunité causée par l’inégalité du capitalisme est aussi injuste que l’absence de choix causée par l’uniformité du socialisme. Dans les deux cas, des aspirations et des besoins normalement légitimes au sein d’une société prospère sont niés en pratique pour de nombreux individus. Dans les deux cas, le contrôle d’une minorité dominante – commerciale ou bureaucratique – s’impose au détriment du bien-être de l’ensemble des citoyens.

Quelle est la solution à ce dilemme? Une troisième voie. La social-démocratie est une troisième voie en ce sens qu’elle se veut à mi-chemin entre le capitalisme et le socialisme mais, malheureusement, elle n’est que cela : une demi-mesure de capitalisme et une demi-mesure de socialisme. Certaines entreprises sont publiques et certaines autres sont privées, certains services sont publics et certains autres sont privés, mais aucun principe n’est remis en question. Souvent, on a le pire des deux mondes : On a l’inégalité du capitalisme et l’uniformité du socialisme alors que les profits sont empochés par les corporations et que les pertes sont assumées par l’État. Il nous importe donc de sonder la possibilité d’une autre troisième voie.

Je partage l’opinion marxiste selon laquelle le salariat est une forme d’exploitation économique. Même si les individus sont théoriquement libres de se lier par contrat à titre d’esclave, de serf ou de salarié, une telle liberté ne peut pas être authentique. La liberté, pour avoir un sens positif, doit être fondée sur une certaine puissance. Une liberté impuissante peut être réelle d’un point de vue formel mais la plupart des êtres humains normaux, qui ont des enfants à leur charge et qui ne peuvent donc pas se permettre le luxe d’une vie héroïque, préféreront se soumettre à l’exploitation plutôt que de vivre une liberté périlleuse. Si la liberté doit être une réalité sociale plutôt qu’un idéal romanesque, elle doit reposer sur un rapport de force qui n’est pas disproportionné. J’estime donc que l’esclavage, le servage et le salariat sont des formes d’exploitation, des moyens pour une élite économique d’abuser de la situation vulnérable des classes populaires.

Cet argumentaire au sujet de l’exploitation économique est généralement accepté pour ce qui est de l’esclavage et du servage, mais les capitalistes rejettent l’idée que le salariat constitue aussi de l’exploitation. Ils affirment que le propriétaire et le salarié s’avantagent mutuellement par un contrat de travail, et que la liberté de chacun est préservée. Pour déconstruire cette notion, il importe de prendre conscience du parallèle avec l’esclavage. Aux premiers temps de l’esclavage, le rapport entre maître et esclave était le rapport entre vainqueur et vaincu. Avant l’esclavage, les vainqueurs massacraient les vaincus sans merci. Ainsi, l’esclavage constituait véritablement une solution mutuellement avantageuse. Le maître bénéficiait d’une main d’œuvre gratuite, et l’esclave bénéficiait de sa survie. Le contexte ayant mené aux positions de vainqueur et de vaincu n’était pas mutuellement avantageux mais, ces positions étant établies, l’esclavage était mutuellement avantageux.

On voit tout de suite le parallèle avec le salariat. Si un contrat de travail peut effectivement être mutuellement avantageux, il faut admettre que la position du propriétaire est nettement plus avantagée que celle du salarié. Les capitalistes modernes ne sont pas scandalisés par l’écart entre la position du propriétaire et celle du salarié ; les esclavagistes antiques n’étaient pas scandalisés par l’écart entre la position du vainqueur et celle du vaincu. Une part du progrès moral consiste précisément à être scandalisé par les écarts de position. Bien sûr, il ne faut pas être également scandalisé par des écarts de position inégalement justifiés. L’écart entre le propriétaire et le salarié se justifie par un mérite plus acceptable que celui qui justifiait l’écart entre maître et esclave, mais le mérite des maîtres n’était pas nul et le mérite des propriétaires n’est pas absolu. À différents degrés, le mérite des maîtres et celui des propriétaires sont mêlés à l’héritage et à la chance. Je suis convaincu que nos descendants seront aussi scandalisés par notre salariat que nous sommes scandalisés par l’esclavage de nos ancêtres.

Je précise que je n’adhère pas à l’égalitarisme radical. Le problème du salariat n’est pas que les travailleurs gagnent moins d’argent que les cadres ou les propriétaires. Le problème n’est pas que les employés soient subordonnés aux employeurs. Ces réalités économiques sont souvent frustrantes mais elles ne sont pas forcément injustes. L’injustice relève de la déconnection entre le travail et l’enrichissement. Que le travail ne soit pas le seul facteur de l’enrichissement est une réalité économique acceptable puisque l’investissement nécessite une accumulation de capital qui doit être encouragée. L’injustice relève du fait que le travail ne soit pas proportionnel à l’enrichissement, du fait que le propriétaire soit le seul dont les revenus augmentent en proportion des profits de l’entreprise.

Ayant conscience de l’importance de l’écart entre employeur et employé, on peut comprendre en quoi le socialisme ne contribue pas véritablement à la justice économique. Le socialisme remplace le contrat de travail entre propriétaire et salarié par un contrat de travail entre État et salarié. L’écart entre employeur et employé est plus grand encore. Dans les cas où le gouvernement en place leur est favorable, les travailleurs du secteur public peuvent bénéficier de conditions de travail décentes ou même enviables. Cependant, dans les autres cas, leurs conditions peuvent se détériorer sévèrement. L’État peut décréter des lois spéciales afin d’interdire les grèves et il peut s’attribuer le monopole de secteurs économiques entiers afin d’interdire la compétition. Face à ce Léviathan, les travailleurs ne sont que d’autant plus soumis et vulnérables. Le socialisme peut procurer un certain degré d’égalité, mais il ne procure pas la liberté et la dignité que cette égalité est supposée rendre possibles.

Comment peut-on dépasser le salariat alors que les entreprises doivent fonctionner, alors que les ressources doivent être attribuées? Comment assurer que les travailleurs bénéficient à la fois d’une position plus équitable et d’une liberté de choix personnel? En leur garantissant une part du capital plutôt qu’un salaire. Les employés pourront aussi bénéficier d’un salaire de base afin de leur assurer un revenu minimum lorsque les dividendes sont bas – de même que les entreprises salariales peuvent offrir des services gratuits à leurs employés en plus de leur salaire – mais ils devront posséder une part importante du capital de l’entreprise pour ne pas être considérés en état d’exploitation salariée. Ce modèle économique est celui des coopératives. À quelques ajouts près, on pourrait dire que le principe est d’obliger toutes les entreprises à être des coopératives. Comme l’État a interdit les rapports économiques esclavagistes, l’État peut interdire les rapports économiques salariés.

En pratique, tous les contrats de travail devront inclure des parts du capital de façon à ce que tous les travailleurs soient propriétaires. Ces parts accorderont un pouvoir décisionnel et des dividendes aux travailleurs dès l’entrée en vigueur du contrat de travail. Dans un premier temps, ces parts ne seront pas aliénables ; la fin du contrat de travail annulera les parts non-aliénables, cela afin d’éviter qu’un travailleur ne bénéficie indûment d’un contrat de travail avorté. Ces parts seront progressivement converties en parts aliénables à mesure que les travailleurs les acquerront de façon définitive à même leurs dividendes. Pour formuler ces mesures économiques en termes plus simples, on peut dire que les entreprises seront obligées de céder un certain pourcentage de leur propriété à leurs employés au fil du temps.

Ce pourcentage devra être assez élevé pour que les travailleurs bénéficient de pouvoirs et de revenus significatifs et il devra être assez bas pour que les investissements soient rentables. Toute autre chose étant égale, les investissements dans une coopérative sont moins rentables que les investissements dans une corporation. Présentement, les corporations dominent les coopératives alors que les investisseurs préfèrent les corporations plus rentables. Si la loi exige que toutes les entreprises soient des coopératives, les corporations disparaîtront et les investisseurs devront se contenter de la rentabilité des coopératives.

Cette philosophie économique se qualifie de « distributiste ». Elle est peu connue car elle n’est promue par aucun groupe d’intérêt. Les corporations préfèrent le capitalisme, les syndicats préfèrent le socialisme. Tous les groupes d’intérêts ont avantage à ce qu’une certaine forme d’injustice soit maintenue afin de les favoriser ; ce sont les masses anonymes et désorganisées qui sont véritablement avantagées par la justice. Cette troisième voie combine la liberté du capitalisme et l’égalité du socialisme, aucune des deux n’étant poussée à son extrême. L’État redistribuerait le capital de façon équitable tout en s’abstenant d’offrir des services uniformes. La dignité humaine considérée dans la sphère économique implique forcément ces deux pans : une liberté véritablement multiforme et une puissance relativement égale.

dimanche 12 février 2012

Les degrés du sexe


Bien que la diversité des pratiques sexuelles soit infiniment vaste, nous pouvons identifier quatre degrés au sexe : le sexe instinctif, le sexe émotif, le sexe unitif et le sexe procréatif. D’emblée, je souhaite préciser une évidence: les degrés du sexe ne sont pas exclusifs. Un degré du sexe n’empêche pas l’autre; au contraire, chaque degré relève de l’autre. Chaque degré du sexe est une bonne chose en lui-même et procure une forme de bien-être; nous sommes voués à jouir pleinement des plaisirs sexuels. Les philosophies qui condamnent le sexe ou qui le discréditent comme une basse réalité sont des doctrines morbides. Le sexe exalte la vie, il exulte de vie. Le sexe participe grandement à la gloire incarnée par humanité; la beauté des arts et de la culture est magnifiée en incorporant le sexe.

La valeur du sexe, comme toutes les valeurs, peut être déréglée. Certains exemples sont patents: La zoophilie, la nécrophilie, la pédophilie et l’inceste sont des pratiques sexuelles dont le dérèglement est évident pour l’immense majorité des gens. Ce jugement commun n’a pas pour but de déprécier le sexe: au contraire! De telles pratiques salissent le sexe, elles l’abaissent en-dessous de sa valeur véritable et elles pervertissent l’esprit de ceux qui s’y adonnent et de ceux qui les subissent. Lorsque l’on condamne ces pratiques, on souhaite protéger la beauté du sexe et on espère que tous puissent en jouir sainement. Ces condamnations s’opposent à la liberté sexuelle absolue mais elles visent à garantir une liberté sexuelle plus authentique. Qu’il soit donc bien clair qu’une opposition à des pratiques sexuelles particulières n’équivaut pas à une opposition au sexe. Si des éléments destructifs s’attachent à une chose précieuse, on s’attaque à ces éléments pour protéger la chose: Pas pour détruire la chose.

Ainsi, certaines pratiques sexuelles suscitent une condamnation dans l’ensemble de la population. D’autres pratiques sexuelles suscitent une condamnation parmi une frange plus ou moins grande de la population. Depuis les orgies entre couples échangistes jusqu’à la contraception entre époux fidèles en passant par les aventures entre inconnus passionnés et par le sexe hors mariage entre amants engagés, toutes sortes de pratiques sexuelles sont rejetées car elles contreviennent à différents systèmes de valeurs. Dans la mesure où ces rejets portent bel et bien sur les pratiques décriées et qu’ils ne s’adressent pas à la sexualité en tant que telle, ils constituent des objections morales légitimes que toute personne réellement respectueuse du sexe sera intéressée à comprendre.

Je reviens maintenant aux degrés du sexe que j’ai énumérés plus haut. Ces degrés représentent des ensembles de pratiques qui recoupent des valeurs communes. La première distinction est celle qui sépare le sexe instinctif du sexe émotif. Le sexe instinctif a toute la vigueur et tout l’abandon de l’animalité; il est naturellement irréfléchi et il n’a aucune pensée au-delà de la chair. Le sexe instinctif est à la fois essentiel et dangereux. Il est essentiel car il est la source de toutes les pulsions sexuelles; il est dangereux car il est complètement aveugle et inconséquent. Le sexe instinctif est centré sur lui-même; sa seule fin est sa propre gratification. Cette gratification peut être combinée avec les joies des autres degrés du sexe, ou pas.

Le sexe émotif est plus doux et plus significatif que le sexe instinctif; il constitue une expérience unique et irremplaçable. Le sexe émotif inclut mais ne se limite pas au sexe dans le cadre d’une relation amoureuse engagée; une aventure d’un soir entre deux amants enivrés d’admiration et de fascination l’un pour l’autre correspond entièrement au sexe émotif, même s’ils ne sont pas engagés et même si cette aventure constitue la trahison d’un engagement. Il s’agit du sexe de la légèreté, de la titillation et de la séduction. Les amants émotifs laissent leurs êtres se toucher en profondeur; ils partagent une intimité sincère. Ce sexe est proprement humain puisqu’il évoque les passions les plus vives de l’esprit. Le sexe émotif ne nie pas le sexe instinctif: Il le capte et il le sublime pour en multiplier la beauté.

La seconde distinction est celle qui sépare le sexe émotif du sexe unitif. C’est ici que le sexe devient authentiquement spirituel car les amants unitifs se donnent véritablement l’un à l’autre. Le sexe n’est pas centré sur lui-même ni sur le moment présent: Il se projette sur l’autre et dans le temps. Le sexe unitif est donc fondé sur l’engagement. Dans sa forme la plus faible, cet engagement est une entente implicite et temporaire. Dans sa forme la plus forte, cet engagement est un mariage formel et indissoluble. Dans tous les cas, les amants unissent leurs chairs en unissant leurs esprits. L’émotion n’est pas amoindrie par l’union; au contraire, la puissance de l’émotion est renforcée par la confiance de l’union.

Finalement, la troisième distinction est celle qui sépare le sexe unitif du sexe procréatif. La procréation porte l’union à son summum et elle la rapporte aux racines concrètes de l’instinct. L’instinct sexuel existe afin que l’humain procrée; le sexe procréatif est l’apothéose du sexe instinctif. Par le sexe procréatif, la boucle est bouclée. La procréation est à la physiologie ce que l’union est à la psychologie: Deux individus qui mettent leur être en commun. La générosité transcende alors le couple: Les amants ne se donnent plus seulement l’un à l’autre, ils se donnent ensemble à leurs enfants. La procréation est l’origine de l’existence de chacun d’entre nous; elle est logiquement un aspect fondamental de notre vocation existentielle.

On peut être en désaccord avec l’idée qu’un degré du sexe magnifie le degré précédent, c'est-à-dire que le sexe émotif magnifie le sexe instinctif, que le sexe unitif magnifie le sexe émotif et que le sexe procréatif magnifie le sexe unitif. On peut croire que la valeur et la beauté de chaque degré du sexe sont indépendantes de celles des autres degrés, et qu’on peut être tout aussi heureux en se cantonnant dans certains degrés du sexe qu’en aspirant à les combiner tous. Ultimement, ce n’est pas une question d’arguments. Le sexe est une question tellement intime qu’elle se limite pratiquement aux expériences et aux témoignages. L’erreur est généralement de ne pas se poser la question, de ne pas réfléchir posément au sujet de nos expériences, de ne pas rechercher les témoignages les plus révélateurs ou de ne pas les prendre au sérieux. Ma croyance est qu’un questionnement intègre au sujet du sexe révèle invariablement que les degrés du sexe sont magnifiés l’un par l’autre, et que l’on devrait aspirer à les combiner.

Une autre question est plus difficile: Est-ce que, en s’adonnant à un degré du sexe séparément des autres degrés, on trouve un bonheur sexuel limité ou est-ce que l’on nuit carrément à notre bonheur sexuel? Dans la mesure où il serait admis que le scénario idéal est celui où l'on jouit de tous les degrés du sexe combinés, est-il préférable de jouir du sexe de façon incomplète ou de s’abstenir de tous les plaisirs du sexe? Les romantiques diront que la beauté du sexe émerge lorsque l’instinct et l’émotion sont combinés, et que l’on trahit nos émotions si on les sépare de nos instincts. Si l’on applique cette même logique à l’ensemble des degrés du sexe, on trouve la doctrine catholique selon laquelle la contraception est un affront au sexe de la même façon (quoiqu’à un degré moindre) que la fornication. À mi-chemin entre ces deux positions, on trouve la position selon laquelle le sexe instinctif et le sexe émotif doivent toujours être combinés au sexe unitif, le sexe procréatif n’étant pas une condition à la vertu du sexe. Chacune de ses positions est le reflet d’un système de valeur – je dirais même d’un esthétisme existentiel – hautement significatif.

jeudi 27 octobre 2011

Sur l'amour




Une évidence s’impose : on désigne plusieurs choses différentes par le terme « amour ». On dit avoir de l’amour pour une activité, pour un endroit, pour un groupe, pour une personne… L’amour dont je souhaite parler est l’amour qui est à la base d’un couple : c’est l’amour que l’on qualifie de romantique ou de conjugal. On peut distinguer cet amour en deux grandes formes : l’attraction et la dévotion. Je crois que cette distinction est essentielle lorsque l’on se questionne sur la nature de l’amour.


L’attraction est l’amour que l’on ressent sans le vouloir. Cette forme d’amour est composée de désir sexuel, d’affinité affective et de fascination intellectuelle. Dépendamment de notre contexte personnel, de nos sensibilités particulières et de l’influence de notre entourage, on valorise surtout l’une ou l’autre de ces composantes. À travers cette diversité circonstancielle, l’attraction possède toujours certains attributs fondamentaux.

Comme je le mentionnais d’emblée, l’attraction est involontaire. C’est-à-dire que nous ne choisissons pas d’aimer ainsi. Parfois, l’attraction est même contraire à notre volonté. L’exemple le plus commun d’une telle contradiction est le cas où une personne déjà engagée amoureusement devient amoureuse d’une tierce personne. Cet amour entre en conflit avec un autre amour. La plupart des gens souffrent alors qu’ils doivent trancher entre les deux amours ; quelques-uns essaient de les concilier. Le caractère involontaire de l’attraction est à la source de bien des tragédies amoureuses.

L’attraction n’est pas seulement à risque d’être anéantie par un amour concurrent ; elle est au moins aussi à risque de s’éteindre par elle-même. Cette forme d’amour est donc consommée par le passage du temps. Pour qu’elle soit durable, elle doit être constamment réalimentée. Cette réinvention constante ne peut être que le fruit de la volonté, mais une telle volonté n'est pas dans la nature de l’attraction. En effet, la nature de l’attraction étant d’être ressentie sans égard pour la volonté, ce n’est pas en elle-même qu’elle peut puiser la force de faire des efforts volontaires pour se renouveler sans cesse. Là est le rôle de la dévotion.

La dévotion n’est pas un sentiment : elle est une volonté. Elle n’est pas la force par laquelle on est attiré vers l’autre ; elle est la force par laquelle on se donne à l’autre. Elle ne dépend de rien sinon d’elle-même. Elle ne veut pas jouir, elle ne veut pas posséder, elle ne veut pas explorer : elle veut simplement donner. Ainsi, la réaction initiale de notre esprit lorsque nous vivons la dévotion n’est pas « Je te veux » mais bien « Je te remercie d’exister ». La dévotion n’est rien d’autre qu’un don de soi. Un don de nos pensées, de nos paroles et de nos actes.

Si ce don est véritable, on ne se possède plus. On ne veut pas que l’autre nous appartienne : on veut appartenir à l’autre. On ne veut pas que l’autre nous permette de nous épanouir : on veut que l’autre s’épanouisse. Notre bonheur n’existe plus en soi : notre bonheur devient celui de l’autre. Là où l’attraction peut facilement prendre des penchants très égoïstes, la dévotion anéantit naturellement l’égoïsme en même temps que l’égocentrisme. On ne pense plus à notre propre bien-être ; on ne pense plus à nous-mêmes.

La dévotion est donc intègre et éternelle. Si on se donne à l’autre, on ne peut plus se donner à quelqu’un d’autre. Si on se donne à l’autre, on ne peut pas se reprendre. Donner, c’est donner ; reprendre, c’est voler. Il n’y a aucune fatalité dans la dévotion puisqu’elle est volontaire ; il n’y a aucune condition extérieure qui puisse s’imposer à elle. La fin de la dévotion ne peut être que le fruit de la volonté et, puisque la dévotion est une volonté, on ne veut pas sa fin. La nature de la dévotion dépasse tous les accidents de la vie.

Quel est donc le rapport entre l’attraction et la dévotion? Sont-elles contradictoires? Sont-elles indépendantes? Je ne crois pas. Je crois qu’elles sont les deux pans d’une réalité subtilement unie. En termes philosophiques, je dirais que l’attraction en est la substance et que la dévotion en est l’essence. Plus concrètement, l’attraction est ce qui donne la joie et la dévotion est ce qui donne le sens. Tout bonheur véritable est une union de joie et de sens. Un bonheur sans joie est fade ; un bonheur sans sens est absurde. Ainsi, l’amour heureux combine l’attraction et la dévotion.

Il importe de comprendre que l’attraction et la dévotion ne sont pas des degrés de l’amour : elles sont deux formes distinctes et complémentaires de l’amour. Il faut de la dévotion pour avoir la volonté de maintenir l’attraction, et il faut de l’attraction pour souhaiter faire le don de soi qu’implique la dévotion. Leur complémentarité se manifeste aussi par le fait que l’attraction, lorsqu’elle doublée de la dévotion, cesse d’être compétitive ; sa variabilité cesse de causer sa relativité. Même si une nouvelle attraction contradictoire est ressentie, la dévotion la ramène vers la personne à qui elle s’est donnée. Par la dévotion, l’attraction trouve sa paix pour donner naissance à un amour véritable.

vendredi 21 octobre 2011

En défense de Homer


L’idée de formuler une défense de Homer m’est venue en lisant cette description à son sujet : « Homer incarne le stéréotype américain de la classe ouvrière : il est vulgaire, en surpoids, incompétent, maladroit, paresseux et ignorant; cependant, il est essentiellement un homme honnête et il est profondément dévoué à sa famille. » Bien souvent, quand on pense à Homer, on pense au nombre et à la gravité de ses vices. On pense à tous les tourments que doivent endurer sa femme Marge et ses enfants ; particulièrement Bart, qu’il étrangle régulièrement. L’ensemble de son entourage souffre sévèrement des diverses grossièretés et excentricités que Homer lui impose.

Homer n’est certes pas un citoyen modèle mais, si on se pose la question sérieusement, il est loin d’être un proche indésirable. Pour s’en rendre compte, il suffit d’inverser ses vices et ses vertus. Il suffit d’imaginer un homme raffiné, athlétique, compétent, adroit, travailleur et érudit mais essentiellement malhonnête et profondément indifférent à sa famille. Imaginons cet homme, et comparons-le à Homer. Lequel est le meilleur ami? Lequel est le meilleur père? Les vices de Homer impliquent de graves désagréments pour tous ceux qu’il côtoie mais ils ne font pas de lui une mauvaise personne.

Plus sérieusement encore, d’un point de vue philosophique, on pourrait dire que Homer est aussi bon qu’il peut l’être. C’est-à-dire que, là où ses vices paraissent être largement dus à un environnement défavorable et à un bagage génétique médiocre, ses vertus, rares mais cruciales, relèvent des aspects de la personnalité que l’on attribue traditionnellement au libre-arbitre : les valeurs les plus fondamentales. Il n’a pas consciemment choisi d’être vulgaire, en surpoids, incompétent, maladroit, paresseux et ignorant. Il ne choisit pas consciemment d’être souvent négligeant et insouciant envers ses proches. Mais dès qu’il prend conscience du mal qu’il cause à ses proches, ou du bien qu’il ne leur procure pas, il devient l’homme le plus courageux et le plus acharné du monde pour réparer ses torts. On s’amuse bien en se moquant de ses vices extravagants, mais on devrait aussi s’humilier devant l’intensité de ses vertus.

lundi 5 septembre 2011

Émile Nelligan


J’ai récemment découvert la poésie d’Émile Nelligan. Auparavant, j’avais lu quelques poètes français et quelques poètes anglais que j’avais nettement plus appréciés que les quelques poètes québécois que j’avais lu jusqu’alors. Ce poète québécois, Émile Nelligan, se révèle à moi comme un plus grand poète encore que ces poètes étrangers qui m’avaient tant impressionnés. Pour la première fois, je perçois une grandeur, une grandeur certes triste et mélancolique, mais une grandeur néanmoins, dans la culture québécoise. J’admets ma grande ignorance de la culture québécoise en général, je suis donc pleinement disposé à y découvrir maintes autres grandeurs, mais l’effet que m’inspire la poésie d’Émile Nelligan n’est pas moindre pour autant. Je copie ici quelques-uns de ses poèmes qui m’ont le plus marqué.



Clair de lune intellectuel

Ma pensée est couleur de lumières lointaines,
Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs.
Elle a l’éclat parfois des subtiles verdeurs
D’un golfe où le soleil abaisse ses antennes.

En un jardin sonore, au soupir des fontaines,
Elle a vécu dans les soirs doux, dans les odeurs;
Ma pensée est couleur de lumières lointaines,
Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs.

Elle court à jamais les blanches prétentaines,
Au pays angélique où montent ses ardeurs,
Et, loin de la matière et des brutes laideurs,
Elle rêve l’essor aux célestes Athènes.

Ma pensée est couleur de lunes d’or lointaines.




La cloche dans la brume

Écoutez, écoutez, ô ma pauvre âme! Il pleure
Tout au loin dans la brume! Une cloche! Des sons
Gémissent sous le noir des nocturnes frissons,
Pendant qu’une tristesse immense nous effleure.

À quoi songez-vous donc? à quoi pensez-vous tant?...
Vous qui ne priez plus, ah! serait-ce, pauvresse,
Que vous compareriez soudain votre détresse
À la cloche qui rêve aux angélus d’antan?...

Comme elle vous geignez, funèbre et monotone,
Comme elle vous tintez dans les brouillards d’automne,
Plainte de quelque église exilée en la nuit,

Et qui regrette avec de sonores souffrances
Les fidèles quittant son enceinte qui luit,
Comme vous regrettez l’exil des Espérances.



Le suicide d’Angel Valdor

à Wilfrid Larose

I

Le vieil Angel Valdor épousait dans la nef,
En Avril, sa promise aux yeux noirs, au blond chef.

Le soleil harcelait de flèches empourprées
Le vitrail, ce miroir des Anges aux Vesprées.

Et, partout, l’on disait en les voyant ainsi
S’en aller triomphants, qu’ils vivaient sans souci,

Que leur maison serait comme un temple au dimanche,
L’amour officiant dans sa chasuble blanche.

Le sonneur, en Avril, épousait dans la nef
Sa jeune fiancée aux yeux noirs, au blond chef.

II

Il eut pendant longtemps le cœur libre et joyeux
Et les roses d’hymen printanisaient ses yeux.

Il vécut des baisers trop menteurs d’une femme
Jusqu’aux jours où son cœur se prit de doute infâme.

Il demandait du ciel plus d’un gars à l’œil brun
Qui le remplacerait lorsqu’il serait défunt,

Et ferait bourdonner du haut de leurs tours grandes
Les cloches qu’il sonnait comme nul dans les landes.

Il eut quand vint le Mai le cœur libre et joyeux
Et les roses d’hymen printanisaient ses yeux.

III

Mais en Juin, le sonneur devint sombre soudain.
Au soir il s’en allait souvent dans son jardin,

Pensif, se promenant plein de peine et de doute…
On eût dit son convoi d’amour longeant la route.

Il confiait à l’astre un peu de tout son mal
Plus noir que l’envol noir du corbeau vespéral.

Les soucis, la douleur terrassaient son courage,
Il se sentait gonfler de sourde et lente rage.

En Juin ce fut pourquoi, comme cela soudain
Il descendait au soir tout seul dans son jardin.

IV

Le sonneur en Octobre eut son amour fané
Et s’en alla l’œil fou comme un halluciné.

Son épouse adultère ah! la folle hirondelle!
Avait fui jà son âtre, au serment infidèle,

Encercueillant l’amour du vieil Angel Valdor
Qui marchait dans la vie avec un grand cœur mort,

Lui laissant la maison silencieuse et vide
Pour les bouges lointains de la ville livide.

À l’Octobre funèbre il eut l’amour fané
Et les macabres pas d’un pauvre halluciné.

V

Après avoir sonné l’Angélus quelque soir,
Valdor prit l’escalier qui mène au clocher noir.
Du bruit de ses sabots l’écho se fit des râles
Rauques parmi les tours sous les étoiles pâles.

La basilique avait senti frémir ses flancs
Et ses vitraux étaient comme des yeux sanglants,

Et les portes grinçant sur leurs gonds de ferrailles
Avaient comme un soupçon du glas des funérailles.

Il sonna trois accords brusquement par ce soir
Où le sonneur monta dans l’affreux clocher noir.

VI

Et Novembre est tombé dans les affligements!...
Voici le roman noir que je pleure aux amants…

L’archevêque au matin monta aux tours maudites
Y resta longuement, les forces interdites,

Devant le corps pendant aux câbles du beffroi,
Devant le corps crispé du pauvre sonneur froid.

Le prêtre prononça des oraisons étranges
Pour cette âme enroulée aux doigts des Mauvais Anges,

Pour le sonneur et pour l’épouse au cœur de fer
Dont Valdor dit le glas aux cloches de l’Enfer.

dimanche 14 août 2011

La valeur personnelle


Lorsque vient le moment de mesurer la valeur d'une personne, soi-même ou un autre, plusieurs notions s'entremêlent dans nos esprits alors qu'elles sont fondamentalement distinctes. Ainsi, l'ambition et l'orgueil de même que l'humilité et la modestie paraissent être des termes presque synonymes, des nuances l'un par rapport à l'autre. Pourtant, l'ambition est foncièrement différente de l'orgueil et l'humilité est foncièrement différente de la modestie. Discerner ces réalités psychiques m'apparaît comme une exercice salvateur pour le développement personnel autant que pour l'intégrité morale.

L’ambition s’oppose à la modestie et l’orgueil s’oppose à l’humilité. Je commence par l’opposition entre l’ambition et la modestie. Ces deux notions concernent l’analyse d’un individu au sujet de ses capacités personnelles, de son potentiel à exercer une influence sur le monde, de l’utilité de ses aptitudes particulières. Il s’agit d’une évaluation qui, d’un point de vue social, est purement technique. C’est-à-dire que, dans un cas idéal, un individu devrait être capable de définir le niveau d’ambition ou de modestie approprié pour les autres autant que pour lui-même. Il s’agit de percevoir les capacités de chacun et de reconnaître les bienfaits relatifs qu’elles peuvent apporter à l’humanité.

Est-il préférable d’être ambitieux ou d’être modeste ? Ça dépend. Un individu aux capacités ordinaires devrait être modeste puisque, s’il est ambitieux, il risque de vivre de grandes frustrations en n’atteignant jamais ses hautes visées. Et même s’il les atteint, il ne sera pas à la hauteur de ses fonctions ; il gâchera donc des opportunités que d’autres individus auraient mieux cultivées. À titre d’exemples : Un mauvais gestionnaire qui devient directeur nuira à son entreprise ; un mauvais leader qui devient ministre nuira à sa patrie ; un mauvais soignant qui devient médecin nuira à ses patients. L’ambition mal placée peut être désastreuse. À l’inverse, si un individu aux capacités extraordinaires est modeste, il gaspille son potentiel en s’abstenant d’en offrir les bienfaits à son entourage. Combien de grands artistes n’ont jamais créé leur chef-d’œuvre culturel ? Combien de grands inventeurs n’ont jamais produit leur révolution technique ? Combien de grands penseurs n’ont jamais écrit leur édifice intellectuel ? La modestie mal placée peut être désastreuse. Ainsi, l’ambition et la modestie ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes : elles sont bonnes si elles résultent d’une évaluation correcte et lucide et elles sont mauvaises si elles résultent d’une évaluation erronée et illusoire.

Le rapport entre l’orgueil et l’humilité est complètement différent. Bien que les orgueilleux invoquent généralement leurs capacités personnelles, l’orgueil n’a ultimement rien à voir avec lesdites capacités. L’orgueil est la croyance que je vaux plus que les autres, que mon importance intrinsèque est plus grande que celle des autres, que mon existence personnelle est plus précieuse que celle des autres. L’orgueil est viscéralement comparatif : si j’étais le seul être humain sur Terre, l’orgueil n’aurait aucun sens. Certains individus s’enorgueillissent de leurs capacités personnelles, mais on peut tout aussi bien s’enorgueillir de notre naissance. C’est ainsi que les héritiers des riches et des puissants peuvent déborder d’orgueil sans prétendre à la moindre capacité personnelle que ce soit ; c’est ainsi que les patriotes peuvent s’enorgueillir de leur nation sans avoir accompli le moindre acte méritoire que ce soit. Les fondements méritoires de l’orgueil ne sont toujours que des prétextes : la réalité véritable de l’orgueil n’est rien d’autre qu’un égotisme existentiel que les moralistes qualifient de vanité.

L’humilité est l’absence d’orgueil. Peu importe nos capacités personnelles, peu importe le statut social de notre naissance, notre valeur est égale à celle des autres. Cette notion prit naissance dans le judaïsme avec le dogme théologique selon lequel tous les hommes sont créés à l’image de Dieu. Le mérite personnel sur lequel l’orgueil prétend être fondé n’existe tout simplement pas, cela parce que nous sommes nés avec nos capacités sans les mériter. Au-delà de ces capacités innées, nous ne sommes ni meilleurs ni pires que n’importe quel autre individu. Certains tenteront alors de s’enorgueillir en clamant que leurs capacités sont le fruit de leurs efforts, qu’ils ont peiné pour développer leurs capacités. Il s’agit de la dernière défense de l’orgueil, et elle sera renversée lorsque l’esprit deviendra assez humble pour percevoir que le développement des capacités est aussi une capacité : une méta-capacité, pourrait-on dire. La volonté et la persévérance dans le développement de nos capacités sont des aptitudes innées au même titre que le potentiel de toutes nos capacités. L’exemple des héritiers orgueilleux malgré leur absence de mérite donne l’indice que l’orgueil n’est aucunement fondé sur le mérite ; la réflexion sur la nature des capacités confirme que le mérite ne peut pas être le fondement de l’orgueil. L’orgueil est fondamentalement pathétique et vain.

Est-il préférable d’être orgueilleux ou d’être humble ? Évidemment, l’humilité est toujours préférable. L’humilité permet le respect le plus authentique entre les individus, elle est la condition d’une justice sociale substantielle, elle procure une paix d’esprit aux ambitieux autant qu’aux modestes. En effet, un orgueilleux modeste, en plus d’être pathétique, est ridicule. Nous connaissons tous quelques-uns de ces individus si irritants qui, sans invoquer quelque mérite que ce soit, estiment que tout leur est dû. Pour ce qui est des ambitieux, l’humilité leur est une vertu également précieuse. Peu importe notre degré de succès, il y aura toujours quelqu’un à qui se comparer désavantageusement. Là où l’orgueil crée du déchirement et de l’envie à l’endroit du succès de tous les autres, même nos proches, l’humilité nous incite à nous réjouir du succès des autres. Plus concrètement, les individus humbles sont moins arrogants, ce qui les rend plus sympathiques et ce qui favorise leurs chances de réaliser leurs ambitions. Tous les ambitieux connaissent cette réalité, c’est pourquoi la fausse modestie est si commune parmi eux. Mais tout être humain possède un sens naturel – souvent inconscient – pour discerner la fausse modestie de l’humilité authentique. On peut feindre la modestie mais on ne peut pas feindre l’humilité, ni face aux autres ni face à soi-même.

lundi 25 juillet 2011

Sur la foi


Le plus simple et le plus commun des arguments en faveur de l’athéisme est celui-ci : « Je ne vois pas Dieu. Donc, Il n’existe pas. » En effet, Dieu est invisible. Maints arguments religieux furent développés en réponse à cette invisibilité : on peut voir Dieu à travers sa création naturelle, nous devons croire les témoins des miracles surnaturels, le divin est transcendant par essence, etc. Ces arguments, s’ils suffisent généralement pour expliquer l’invisibilité de Dieu aux croyants, m’apparaissent inefficaces pour la justifier aux incroyants. Nous devons admettre que, si Dieu n’existait pas, le monde sensible ressemblerait largement à notre monde. Nous pouvons invoquer des arguments philosophiques complexes mais, bien franchement, je doute qu’une seule personne en soit venue à croire en Dieu par l’effet d’arguments intellectuels. Les arguments intellectuels sont nécessaires pour déconstruire certains blocages mentaux à la foi, mais ils ne sont jamais le pilier de la foi. La foi est fondée sur une expérience qui est ensuite validée par l’intellect.

Comment donc expliquer que certains individus aient une expérience de Dieu alors que certains autres ne l’aient pas? Si Dieu existe et s’Il est accessible à nos sens, l’expérience de Dieu ne devrait-elle pas être universelle? Tous les humains ne devraient-ils pas être en relation avec Dieu? Non, et nous n’avons aucune raison de croire cela. Je crois avoir trouvé une analogie adéquate pour expliquer cette réalité : la foi est face à la personne divine ce que l’empathie est face aux personnes humaines. Je tente d’exposer cette analogie aussi clairement que possible.

Nous croyons que les autres personnes existent non pas parce qu’elles sont visibles mais bien parce que nous ressentons de l’empathie à leur égard. Nos yeux ne nous révèlent que des masses de chair qui se déplacent et qui émettent des sons ; des machines biologiques sans conscience personnelle pourraient correspondre parfaitement aux êtres humains que nous percevons visuellement. D’ailleurs, certaines personnes sont largement – voire totalement – dénuées d’empathie : elles traitent donc les êtres humains avec moins d’égards que nous traitons normalement les animaux. Même les athées les plus matérialistes reconnaîtront que l’empathie est un sens puisqu’elle nous révèle concrètement un aspect de la réalité : puisqu’elle nous permet de percevoir la personnalité humaine à travers le corps humain. L’empathie est, comme les autres sens, inégalement distribuée parmi les humains. Certains ont une excellente vue alors que d’autres sont aveugles, certains ont une excellente ouïe alors que d’autres sont sourds, certains ont un excellent odorat alors que d’autres ne détectent aucune odeur… et certains sont profondément empathiques face à toutes les personnes qu’ils rencontrent alors que d’autres ne ressentent pas la moindre empathie même envers les personnes qui leur sont les plus proches.

De même, la foi est inégalement distribuée parmi les humains. Certains sont habités par une foi intense et inébranlable dans la signification divine de la vie terrestre alors que d’autres sont dominés par un sentiment d’absurdité et de désespoir insurmontables. Comme pour l’empathie et pour les autres sens, la plupart des gens se situent à quelque part entre ces deux extrêmes : les sensibilités aigües sont aussi rares que les insensibilités totales. Mais qu’est-ce donc que cette sensibilité que l’on qualifie de « foi »? Elle est ce sens par lequel, comme l’empathie perçoit la personnalité humaine à travers le corps humain, nous percevons la personnalité divine à travers l’univers. De la même façon que l’empathie nous révèle concrètement le caractère humain et personnel des souffrances et des joies des autres individus, la foi nous révèle concrètement le caractère divin et personnel de l’ensemble des occurrences universelles.

Sur l’incroyance

Les incroyants sont parfois blessés lorsque les croyants évoquent l’absence de foi comme une pathologie. Pourtant, l’absence d’empathie est perçue comme une lacune morale par les individus empathiques de la même façon que l’absence de foi est perçue comme une lacune spirituelle par les croyants. L’insensibilité n’est pas coupable en soi mais elle entraîne l’esprit directement dans toutes les formes de culpabilité. Une personne sans empathie ne respecte pas la dignité des autres personnes humaines; une personne sans foi ne respecte pas la dignité de la personne divine. Et sans respect, l’amour est impossible. Évidemment, les incroyants ne sont pas troublés par l’accusation de manquer de respect et d’amour à Dieu puisqu’ils ne croient tout simplement pas qu’Il existe. Qu’ils prennent garde car, si on poursuit l’analogie entre la foi et l’empathie, les personnes dénuées d’empathie ne sont pas troublées par l’accusation de manquer de respect et d’amour aux autres humains puisqu’elles ne croient pas qu’ils existent. Bien sûr, elles croient que les humains existent corporellement, et peut-être mentalement, mais pas personnellement. Si elles croyaient que les humains existent personnellement, elles ressentiraient au moins un brin d’empathie envers eux. Elles ne seraient pas forcément bonnes envers eux : l’empathie ne produit pas forcément la sympathie. Reste que l’absence d’empathie n’est pas de la folie au sens scientifique : une personne dénuée d’empathie perçoit le monde matériel tel qu’il est réellement. Seulement, son sens moral est déficient.

C’est ainsi que l’on peut défendre que l’absence de foi est bel et bien une pathologie spirituelle. En ne percevant pas Dieu, les incroyants ne commettent pas une erreur scientifique : le monde matériel est perçu de la même façon que l’on soit croyant ou incroyant. Certains croyants ne croient pas aux miracles matériels (les courants dits libéraux excluent les miracles matériels pour ne croire qu’aux miracles spirituels) alors que certains incroyants croient aux miracles matériels (y voyant des aberrations dues à des mécanismes naturels présentement inexpliqués mais ultimement explicables par la science). Ainsi, que l’on discute d’empathie ou de foi, le monde matériel que l’on perçoit est le même : la question est à savoir si l’on perçoit des personnes à travers ce monde. Si ces personnes humaines et/ou divine existent réellement mais qu’on ne les perçoit pas, on ne peut pas être en relation respectueuse avec elles. Et si le respect est absent, l’amour est inaccessible.

Première objection

Je réponds à trois objections que l’on pourrait formuler à l’encontre de mon analogie. La première de ces objections est que, là où l’empathie est un sens commun au sein de l’humanité alors que l’absence d’empathie est une pathologie marginale, l’absence de foi est commune alors que la foi est nettement moins commune que l’empathie. Cette objection n’est valide que si on limite notre analyse à l’humanité occidentale moderne. Si on prend compte de l’humanité transhistorique dans son ensemble, les athées y sont plutôt marginaux. La foi connut une multitude de formes mais l’absence de foi fut rare et généralement décriée. Bien que les religions abrahamiques (judaïsme, christianisme et islam) soient les seules à être proprement théistes, tous les paganismes connaissent une certaine forme de foi. Les paganismes occidentaux construisirent une panoplie d’idoles hétéroclites personnalisant les forces universelles : leur foi était ainsi diluée dans le polythéisme. À l’inverse, les paganismes orientaux furent surtout soucieux de n’imposer aucune limite au divin et, incapables de saisir une personne infinie, ils dépersonnalisèrent le divin : leur foi était ainsi diluée dans le panthéisme. En termes théistes, on pourrait dire que les polythéistes se sont avancés dans la mauvaise direction alors que les panthéistes ne se sont pas assez avancés mais les uns comme les autres ont aspiré à s’avancer vers Dieu. Dans tous les cas, les cultures majoritaires furent largement croyantes : habitées par une foi bien établie dans la signification divine de la vie terrestre. L’athéisme matérialiste est une aberration très minoritaire dans l’histoire humaine.

Aussi, il importe de noter que, dans le cas de la foi comme dans celui de l’empathie, la sensibilité n’est pas strictement individuelle : elle est largement conditionnée par le contexte culturel. Ainsi, comme les Romains antiques souffraient d’une empathie réduite – s’exclamant de rire à la vue d’esclaves forcés de s’entretuer – les athées modernes souffrent d’une foi réduite – ricanant avec circonspection à la mention des Dix commandements. Les individus évoluant dans ces différentes cultures peuvent être partiellement excusés de leur insensibilité par les lacunes de leur conditionnement, mais l’outrage n’est pas moins grand aux yeux de ceux qui ne sont pas également insensibles.

Deuxième objection

La deuxième objection relève de la multiplicité des religions. Si Dieu existe bel et bien et qu’Il nous est accessible par la foi, comment se fait-il que les croyances religieuses soient si diversifiées et souvent contradictoires? Tout d’abord, il existe une raison bien concrète : si Dieu est une personne vivante, on peut le connaître plus ou moins, de la même façon que l’on peut connaître une personne humaine. Cette notion est difficile à accepter pour les incroyants puisqu’ils peinent à concevoir la personnalité divine. Néanmoins, dans la mesure où l’on conçoit Dieu comme une personne vivante, il y aurait quelque chose d’artificiel si tout le monde connaissait Dieu également et de la même manière. La relation entre Dieu et les humains, comme les relations entre humains, est concrète et historique. C’est ainsi que cette relation prit une forme particulièrement intime chez les prophètes judaïques et qu’elle fut ensuite exaltée mondialement par les apôtres chrétiens.

Cette explication peut sembler insuffisante, et elle l’est effectivement. Si l’incarnation historique de Dieu est, comme toute expérience, naturellement limitée à certains contextes particuliers, elle n’explique pas la diversité religieuse à elle seule. Outre les errances religieuses que l’on pourrait qualifier « de bonne foi », au sens où elles sont dues strictement à une connaissance déficiente de Dieu, une proportion significative des errances est due à l’orgueil et à la malice humaine. Les humains usent de la foi pour promouvoir leurs intérêts personnels de la même façon qu’ils usent de l’empathie pour favoriser leurs désirs égoïstes (par exemple, en invoquant la pitié de façon manipulatrice). Dieu nous laisse libres de le chercher ou de l’ignorer, de l’aimer ou de l’haïr, de répandre sa Parole ou de mentir en son nom. Ainsi, de la même façon qu’un père incestueux peut détourner un enfant de Dieu en souillant sa sensibilité, un prêcheur hérétique peut détourner un croyant de Dieu en brouillant sa sensibilité. Dans un cas comme dans l’autre, la foi est détériorée par l’effet d’une influence malveillante.

La démarche spirituelle devient alors éminemment concrète : il faut étudier les différentes révélations religieuses pour distinguer les prophètes authentiques des faux prophètes qui invoquent indûment l’autorité divine (ce dont, rappelons-le, les juifs accusent Jésus et ce dont les chrétiens accusent Mahomet). Cette étude n’est pas intrinsèquement religieuse : elle recoupe la moralité, l’histoire, la philosophie, la psychologie, la sociologie, etc. Cette étude n’est pas intrinsèquement religieuse mais elle est fondamentalement spirituelle puisque, face à chaque élément, nous devons nous assurer que la révélation concorde avec notre foi. La foi est comme une pâte qui se modèle en fonction des enseignements qui l’encadrent; on peut ainsi distinguer la vérité de l’erreur par les fruits des différentes doctrines religieuses. Tous les débats théologiques entre juifs, chrétiens et musulmans – ainsi que, et peut-être surtout, au sein de chacune de ces religions – visent à démontrer la véracité des différents crédos. En ce qui me concerne, c’est la révélation judéo-chrétienne qui m’apparaît comme véritablement divine – la révélation islamique m’apparaissant comme éminemment sociopolitique – mais je n’entends pas exposer ici les raisons qui m’ont amené à cette conclusion.

Troisième objection

Finalement, la troisième objection est celle de la projection anthropomorphique. Selon cette objection, la personnalité divine perçue par la foi ne serait qu’une illusion mentale de l’être humain projetant sa nature personnelle sur l’univers. Je répondrais d’abord que, si l’on se méfie ainsi de l’expérience de la foi, on doit se méfier également de l’expérience de l’empathie. Si l’on doute que la foi soit une projection du soi sur l’univers, pourquoi ne douterait-on pas que l’empathie est une projection du soi sur les autres? Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un sens que nous pouvons accepter comme valide ou rejeter comme illusoire ; dans un cas comme dans l’autre, on met effectivement notre personnalité en relation avec d’autres personnalités. A priori, la foi comme l’empathie peuvent être des projections illusoires : il importe néanmoins de reconnaître la parenté entre ces deux sens, et donc la parenté entre la validité morale de l’empathie et la validité spirituelle de la foi.

Au-delà de cet a priori, la question devient proprement intellectuelle. Il importe d’insister sur ce caractère intellectuel puisque, dans bien des cas, j’ai l’impression que cette objection est soulevée comme un contre-argument final plutôt que comme un véritable questionnement intellectuel. C’est-à-dire que, plutôt que de se méfier sainement d’une illusion plausible, maints athées voient dans la correspondance entre la personnalité humaine et la personnalité divine la preuve irrévocable de l’irréalité de cette dernière. Néanmoins, si cette correspondance peut effectivement être le fait d’une projection illusoire, elle n’est pas intrinsèquement impossible. Dans tous les cas, elle n’est pas inconsciente puisque l’un des principes fondamentaux du théisme est que l’humain fut créé à l’image de Dieu : c’est-à-dire que l’humain, comme Dieu, est une personne spirituelle. S’il s’agit d’une illusion, celle-ci n’est certainement pas due à une négligence intellectuelle ignare. En guise de conclusion, j’indique simplement que l’apologétique présuppositionaliste de Cornelius Van Til ou encore l’argument de la Raison de C.S. Lewis m’apparaissent plus que suffisants pour contrer cette objection.

Croire ou ne pas croire

Pris isolément, ces arguments intellectuels sont peu significatifs mais, en complément de l’analogie générale entre l’empathie et la foi que j’expose ici, ils constituent des indices additionnels en faveur de la validité de la foi. Comme je le mentionnais en introduction, la foi n’est jamais fondée sur l’intellect : elle est fondée sur une expérience pour être ensuite validée par l’intellect. Cependant, puisque certains blocages intellectuels peuvent poser en obstacles à l’expérience de la foi, il est parfois nécessaire d’invoquer des démonstrations intellectuelles pour déconstruire ces blocages. J’invite donc tous les incroyants à explorer le sens de la foi de la même façon que nous inviterions les personnes dénuées d’empathie à en explorer le sens : c’est-à-dire avec le courage et l’humilité nécessaires pour s’initier à un sens nouveau et troublant. Il s’agit d’un sens qui peut se développer de façon soudaine ou progressive, hâtive ou tardive. Le parcours de chacun est unique, chaque personne vit son expérience librement. Il n’est jamais trop tard pour devenir empathique, ni pour devenir croyant.